Bellevue ; Claire Berest

Claire Berest Bellevue__________________________

Bellevue

Claire Berest

Stock

Roman

194 pages

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__« Alma se réveille à quatre heures du matin. Dans un hôpital psychiatrique. Deux jours plus tôt, elle fêtait ses trente ans. Écrivain prometteur, Alma est une jeune Parisienne ambitieuse qui vit avec Paul depuis plusieurs années ; tout lui sourit. Et, d’un coup, tout bascule. Son angoisse va l’emporter dans une errance aussi violente qu’incontrôlable et la soumettre à d’imprévisibles pulsions destructrices. Que s’est-il passé pendant ces quarante-huit heures ? »

__Ca faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé ; j’ai préféré terminer un livre plutôt que de dormir (ce qui explique mes cernes horribles mais par chance vous ne les voyez pas). Au revoir suspense, vous avez devant vos yeux mon nouveau coup de cœur. 

« Je vais me lever de ce lit banal et je vais aller fumer une cigarette banale. Je sais que je suis dans un hôpital psychiatrique, mais j’ai le droit de fumer quand même, je ne suis pas folle. »
p.17

__« Se faire sauter, pour une femme, concrétise l’idée du sexe d’une manière curieusement passive »; la première phrase. La première ‘réflexion’. Alma a couché avec Thomas B le soir de son anniversaire. Le 4 juin. Elle ne l’avait pas préméditée. Deux jours après, Alma se réveille dans un hôpital psychiatrique. BellevueElle vient de fêter ses trente ans – fêter est évidemment un mot qui sonne faux – la journée de ce-dit anniversaire fut de celle qu’on n’oublie pas, vous l’aurez compris. Prise d’angoisse inexplicable (et inexpliquée), puisqu‘elle va bien ; elle se retrouve à faire des choses qu’elle n’aurait jamais cru pouvoir faire jusqu’à lors. Des actes contre Paul, son compagnon depuis plusieurs années, comme bousiller son ordinateur. Une histoire de poubelle. Le non-comportement de trop. Il est 13h30. Il y a eu l’attaque de Panique. Les Lexomil, la veille. Les appels au secours. Puis, 15h approche, elle se prépare pour le rendez-vous avec Thomas B – cet écrivain/éditeur à la mode qui la fascine et qui veut lui proposer un projet. Ceci ne sera que le commencement d’une descente aux abîmes – de plus ou moins 24h. Les tourments. Puis, le vide. 

__« Puis, je me maquille, plus que d’habitude : plus de noir, plus de rouge, accentuer les cils, les lèvres, les pommettes, forcer la vie dans ce visage que je trouve étrangement pâli, que je découvre ne plus m’être si familier, je termine en mettant du parfum, je prends alors le temps de me regarder dans le miroir devenu opaque à force de n’être jamais lavé. Je n’aime plus rien, ni ce corps, ni ce visage, ni les postures qui en découlent naturellement, ni l’espace que ce corps occupe, ni la salle de bains tout autour de cette occupation maladroite de l’espace.»
p.29

__Dans un schéma assez classique, Claire Berest nous conte d’une plume pleine de virgules (comme j’aime tant), cette journée du 4 juin, sans oublier ces jours à l’hôpital. Un certain présent, un retour au passé. L’un, l’autre. Tout est rythmé, intense, comme le propos. Comme l’angoisse, le texte vous coupe le souffle et vous attrape. C’est l’urgence dans la perte de contrôle. C’est ce que raconte l’auteur. Comment on bascule. Parce qu’on n’a plus de repères, parce que tout est Remise en question; qui l’on est, qui l’on n’est plus, qui l’on veut être, ou ne pas être, ce qui nous définit, ou pourrait nous définir. Ces voix qu’on a fait taire, et qui, du jour au lendemain, se réveillent parce qu’à bien y penser on fut juste conditionné à le penser, parce qu’aujourd’hui on a grandit, on s’affirme, on a changé aussi. Qu’importe. Enfin On… c’est une façon de parler, évidemment. J’aime bien l’idée des petites fenêtres qu’elle propose : « J’ai toujours imaginé que chacun possède une fenêtre dans la tête, une fenêtre avec vue mais hermétiquement fermée. Sa seule présence est décisive, car son existence contient de l’autre côté la folie, qui reste alors une idée et un fantasme. Son scellement est le garde-fou indispensable à la normalité. La tenir bien close permet que s’accomplissent les tâches et les plaisirs, et qu’on s’accomode des petites trahisons que coud sur les êtres la fréquentation du quotidien. Il est rassurant qu’elle soit là, car elle rappelle qu’elle peut être ouverte, et même pulvérisée. » p.84  J’aime vraiment bien l’idée. Puis cette liberté, page 92 : « Est-ce que je dis Libre pour qualifier un sentiment que je ne parviens pas à décrire? Je parle du sentiment rare où le point d’ancrage s’évanouit. S’apercevoir quand on s’y attend le moins que nos points de vue fondamentaux sont finalement relatifs et qu’il s’en faudrait de peu pour balayer nos évidences et assembler le puzzle de notre vie tout a fait différemment de ce qui était prévu. » La carrière, les amis, la famille, les non amants, le sexe. Tout ce qui fait la vie d’une femme de trente ans, qui a vécu, qui a encore à vivre, et se pose d’innombrable questions, trop de questions, au point de se perdre, complètement. Entièrement. Ni même ne plus être apte à retenir ses moindres pensées. Les prémices de la chute. Les prémices.
Alors non, il n’y a pas que les vertiges. Chopin est présent, brièvement. La littérature y tient un grand rôle, grâce à ses rêves, grâce à Thomas B – un inconditionnel de Julien Gracq, puis Verlaine. Claire Berest nous invente un prix littéraire, alors certes on frôle un peu le cliché via le Flore, les portraits, le Lutetia, mais dans le fond, elle le dit : « Ce qui les relierait serait l’idée de vérité, de réalisme : un instantané est la capture du réel. Le cliché dit le réel. » Mais je pense que c’est un peu compliqué pour vous de comprendre. D’ailleurs, je ne suis pas certaine que cette chronique soit vraiment compréhensible. Joyeux Bordel. Retenez Verlaine, et ses Poèmes Saturniens ; quand on se raccroche à un texte, à un livre, à un auteur. Sans trop savoir pourquoi. Non, sans trop savoir pourquoi. Il y a aussi un passage sur l’amitié homme/femme, passage que je vous donne maintenant :

__« […]
Avec un amant on ment, on arrange, on omet, on fait briller les interstices, on garde pour plus tard, les corps despotes font écran, on voudrait pouvoir dire : Je ne suis que ça, est-ce que tu peux m’aimer si je ne suis que moi?
Avec un ami il faut tout se raconter le premier soir, dans sa vérité nue, dans son humiliante lumière, pour dire voilà qui je suis, voilà qui tu es, je ne te jugerai jamais, tu ne me jugeras jamais, je t’aime, je prends tout, pour toujours, maintenant commandons un autre verre. L’amitié prend l’autre en charge dans son absolue et sordide entièreté, comme les mères, elle prend en charge le quotidien et l’exceptionnel au coude à coude sans autre transition qu’une reprise de souffle, les amis son prêt à tout traiter, la vie, la mort, c’est d’accord. Le véritable ami que l’on rencontre ressemble à une déflagration. »
p.111

__Pourquoi est-ce un coup de coeur? Parce qu’au delà du style littéraire qui me parle, j’aime ce qui est dit. Tout est profondément humain. Nous sommes, ou peut-être devrais-je dire, « Je » suis une Alma possible. À qui ne veut pas se leurrer, bien entendu. Le tout est de garder fermer ces petites fenêtres. Il est possible à tout à chacun de péter un plomb et de finir pour quelques jours dans ce Bellevue, ou péter un cable à un degré plus faible, bien sûr. Les trente ans sont un prétexte. Ce manque de repère, cette quête du Je véritable, sortir de cette mascarade et n’être que soi. Respirer, enfin. La vérité qui parfois fait mal. C’est un texte profondément humain, je le répète. C’est un texte qui peut être parfois drôle, parce que plusieurs fois le personnage m’a fait rire, les situations, ses mots. La pseudo vulgarité de l’auteur peut en être la cause (livre à ne pas mettre dans toutes les mains), peut-être. C’est touchant. Désolant. Triste. Difficile à lire. Peut-être dur. Mais oui, profondément touchant et humain. Parce que d’une justesse sans égal. Cet élan du sombre qui attire sans consciemment savoir pourquoi. Ça m’émeut. « Il y a l’immense fatigue d’être, et l’immense surprise d’être encore. » p 150. C’est sûrement la phrase à retenir.

À mon sens, ce livre est une photographie. Une image, un instantané. Nous fermons le roman sans avoir toutes les réponses, nous n’avons qu’une interprétation. Je fus, certes, un peu frustrée mais dans le fond, c’était le mieux à faire, le choix de notre propre interprétation. Vous l’aurez compris, j’ai beaucoup aimé. Je vous laisse avec ce dernier extrait, et puisqu’on frôle la thèse, je vous laisse tout court. Et vous, laissez-lui une chance.

__« Ce qui me sépare des autres, c’est de vivre cette journée comme une île, sans franchissement et sans fuite, lisière à l’horizon escamoté, vivre dans le brusque revirement d’une parole, d’un regard et d’un mot, dans le congé du calcul, de l’échafaudage de perspectives. Vivre pour une caresse aussitôt momifiée. De quoi me parlent mes amis? De carrière, de mariage, de resto libanais samedi? Vacances en Croatie? Déjeuner semaine prochaine? Petit apéro jeudi soir? Shopping mercredi c’est les soldes? Dîner chez les parents? L’anniversaire de Margot? Vide-dressing? Cadeau commun pour l’anniversaire de la fille de Léa? Week-end à Trouville? Nouveau club à Belleville? L’expo à Maillol? Ils sont là pour ça, pour m’assener encore et encore les jalons de la vie qui passe sans moi, chaque proposition est une gifle , car il ne me reste la force que de dire peut-être puis de manquer chacun des rendez-vous. »
p.188

★★★★★

27 réflexions sur “Bellevue ; Claire Berest

  1. cora85 dit :

    Merci pour cette belle critique, qui me donne envie de découvrir ce roman !
    Si tu aimes l’histoire de l’art, je te conseille les livres de Michel Pastoureau (c’est mon trip du moment, lol !).
    Bonne rentrée !
    Ondine

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  2. Electra dit :

    Je ne suis plus avertie de tes nouveaux billets et ma blogroll sur blogger ne marche plus (elle n’arrive plus à dater les blogs WP) snif .. donc j’arrive bien tard ! je l’ai vue en itw et c’est le genre de roman qui me plaît énormément. Je vais le réserver dès qu’il sera (si ce n’est déjà le cas) à la BM ! très joli billet et tu décris bien ce qui me plaît dans ce gerne de roman !

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    • Quaidesproses dit :

      Oh, comment ça se fait que tu n’es plus avertie? Je pense qu’il devrait y être à la BM, j’espère que tu l’aimeras.
      Je vais me lancer dans « Bianca » de Loulou Roberts là. Je pense que tu as dû entendre ou dû voir une itw, aussi :)

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  3. laroussebouquine dit :

    Aie aie aie… Je me souviens qu’on avait deja pas mal parle de ce livre par message… Et c’est d’ailleurs seulement maintenant que je me souviens que j’avais vu l’auteur dans La Grande Librairie !
    Je ne savais pas trop si j’avais envie de le lire ou non… mais maintenant, quelle question j’ai envie de te dire. Vilaine tentatrice.

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